Toponymie de Payrin et d’Augmontel

Il est intéressant d’étudier la toponymie sur la très précieuse carte de Cassini. César-François Cassini né en 1714 à Thury dans l’Oise, mort en 1784 est un cartographe talentueux et un éditeur scientifique. A la demande de Louis XV, il dessine à la plume la première carte entière du Royaume de France répartie en 181 cartes partielles. L’échelle est d’une ligne pour cent toises, soit une représentation au 1: 86400 e.

Les premières levées sont effectuées en 1760 par César-François, et sont achevées en 1789 par Jacques Dominique, son fils, après avoir effectué de nombreuses mises à jour et corrections. Elles utilisent le réseau géodésique établi de 1683 à 1744 par le grand-père et le père de César-François. En 1815, la publication de l’ensemble des cartes est achevée. Quatre générations ont travaillé à cette oeuvre remarquable. La carte de Cassini, d’une qualité exceptionnelle rend de grands services jusqu’au milieu du XIXème siècle et sert d’exemples pour des pays limitrophes. C’est l’ancêtre de la carte d’État-Major au 1/80000 e. Sur les cartes ci-dessous, vous pouvez découvrir Payrin, Augmontel et la Pouzencarié.

Carte du secteur de Payrin 

Payrin sur la carte de Cassini
  • La carte a été levée entre 1771 et 1774 et publiée en 1777. On y voit la Méridienne, c’est à dire le méridien de l’Observatoire Royal de Paris, qui passe sur la commune, à Augmontel et à Payrin. C’est la ligne verticale, à gauche allant de la Mengaverie à Payrin-Bas. Sur les cartes, le long des côtés, les chiffres indiquent les distances en toises à la Méridienne et à la Perpendiculaire de Paris.
  • Notez les hameaux de Payrin : En Salvetat, Barraux, Payrin-Bas, Les Fourques, La Place, Passebosc…
  • A Augmontel : En Viel, Mazet, Fongui…
  • L’abréviation Succ près de Payrin se rapporte à l’église Saint-Michel qui était église succursale de la paroisse de Boissezon. Sainte-Madeleine était l’église de la paroisse d’Augmontel.
  • Certains toponymes ont disparu, Passebosc, Les Fourques, La Place, La Payruque, d’autres ont une orthographe différente, comme Aumontel, Cantagrel, Rigaulous.
  • On note la présence de moulins à eau sur les ruisseaux, notamment à Saint-Alby, le Moulin Neuf. [1] On note aussi un moulin à l’emplacement de l’actuelle usine du Moulin Gau [2], des vacheries près du Thoré, à La Rive par exemple ; l’ancien fort à Caucalières, la chapelle de Sanguinou, Lardicou.
  • L’actuelle RD 612 est alors une route empierrée bordée d’arbres dont le traçé est légèrement différent.

► Les cartes étaient d’une précision étonnante avec de nombreux détails, villes, bourgs, édifices, représentés par des symboles et des noms en toutes lettres.

  • Pour les villes et constructions, voici la liste complète des symboles :
    Villes ( écrites en capital), bourgs (écrits en grosses romaines), paroisses (écrites en romain droite), hameaux sans église ( en italique), maison de justice, paroisses avec château, bourgs avec château, gentilhommières, tours, vacheries, commanderies, abbayes de filles, abbayes d’hommes, prieurés, chapelles, relais de postes avec le chiffre précisant le nombre de postes depuis Paris, moulins à eau, moulins à vent en bois, moulins à vent en pierre, corps de garde, champs de bataille.

Il est précisé que si le symbole est penché, cela signifie que l’édifice est ruiné ! Ainsi, près d’Augmontel, on voit le symbole penché, signifiant abbaye d’hommes. C’est l’abbaye d’Ardorel en ruines, qui n’est pas située à son emplacement exact, mais près du symbole de la paroisse d’Augmontel.

  • Les caractères géographiques sont également très précisemment notés. En voici la liste complète : bois et forêts, bois de sapins, bruyères ou landes, marais, prés, vignes, dunes, sables, flots qui représentent les vagues de la mer, montagnes, vallons avec ruisseau dans le fond, hachures qui représentent les côteaux et les montagnes, routes empierrées bordées d’arbres, routes non empierrées bordées d’arbres, routes non empierrées, routes projetées, chemins, sentiers, rivières et ponts avec le nombre d’arches des ponts, ruisseaux, canaux, limites diocésaines, de province, étangs avec digue !!

Légendes :


Carte du secteur de La Pouzencarié et Augmontel

 Vous remarquerez l’orthographe de La Pouzinquarié, de Boifsezon d’Aumontel (le F se lisait S), de Noylhiac, de Mengaverie, Pencherie, Trincalarie ; la présence de nombreuses vacheries, à Mengaverie, Fontgui, En Viel…

 Boifsezon d’Aumontel : c’est l’ancienne dénomination sous l’Ancien Régime pour le distinguer de Boissezon de Matviel près de Murat-Sur-Vèbre.

Augmontel sur la carte de Cassini

La toponymie est la science qui étudie l’origine des noms de lieux, comme la patronymie s’intéresse aux noms de famille. L’examen des cartes de Cassini et du cadastre de la commune montre que la plupart des noms rencontrés sont issus de l’occitan. Relief, végétation, travaux de l’homme ont permis de baptiser de nombreux lieux. Toutefois, la transmission orale et les transcriptions phoniques successives ont parfois altéré l’appellation originelle, ce qui rend incertaines quelques explications.

► Payrin (Pairin) vient du latin patrinius, dérivé de patris, le père, celui qui détient l’autorité familiale, qui possède des biens. Le y n’existe pas en occitan, la graphie languedocienne s’établit donc comme ci-dessus [3].
Cette étymologie n’est pas celle du frère Vincent.Ferras, moine d’En Calcat qui voit dans Payrin, le mot petrus c’est à dire pierrre en latin, à rapprocher des nombreux payra (pierre en occitan). Le secteur est riche en pierre calcaire. Enfin, d’autres auteurs voient dans Payrin la déformation de payrégrin ou paylarin, celui qui voyage, le pélerin.

► Rigautou vient-il de lo rigal, le ruisseau, lo riautou, le petit ruisseau ou du patronyme Rigaud ? Un poète local, Augustin Tost l’a mis en rimes ! [4]

► On trouve des toponymes très variés mais certains sont employés à plusieurs reprises, les Brugues par exemple.

  • Le Pradaillas (Lo Pradalhas : de prat, pré ou prada, prairie auxquels ont été ajoutés le suffixe as.
  • Les Brugues (Les Brugues) : du latin signifiant terre désertique, les bruyères.
  • Le Bruguet (Lo Bruguet) : la petite bruyère.
  • Belle-Fleur : de belo, beau, remarquable et flou, corolle, flouca, orner de fleurs.
  • Rue des barraux : les barraux étaient les briques fabriquées à Augmontel avec l’argile rouge du causse, cuites dans les fours à chaux.
  • Cavilhot (Cavillot) : la cavilha est la cheville, lo cavilhot une petite cheville. Le surnom d’un habitant ?
  • Le Riou ( Lo Riu), le ruisseau.
  • La Salvetat : la sauveté, lieu où l’on est sauf, lieu d’accueil. Au Moyen-Age, les salvetats désignent des lieux appartenant à l’église souvent fondés par les bénédictins et exempts de certaines taxes. [5]
  • Rec de l’hôpital (Riu de l’Espital), ruisseau de l’hôpital. Les hospitalia étaient des établissements d’accueil pour les pèlerins, les vagabonds, les pauvres, fondés par les communautés cisterciennes dont la règle était plus sévère et moins ouverte sur le monde que celle des bénédictins(solitude, vie méditative. Les moines cisterciens de l’Ardorel ont-ils fondé une Hospitalia ou développé un lieu d’accueil existant déjà (la Salvetat) ? On note que le Rec de L’Hôpital traverse la Salvetat.
  • La Naure (La Naura) : peut-être s’agit-il de la déformation de nora, la belle-fille ?
  • Les Claousses (Las Clausses) : les enclos, du verbe occitan claure, fermer.
  • Camp des mûriers (Camp dels amorièrs) : champ des mûriers.
  • Al Nègre : Al nègre : au nègre.
  • Terrat Puech Terrat : Lo puèg est la colline, le mont. Lo terrat, le toit, mais on peut l’interpréter comme une colline, une hauteur présentant une terre particulière.
  • Les Taillades (La Talhadas) : désigne les coupes de bois, les taillis.
  • Chemin de Poumayrol (Chemin de Poumayrol), chemin bordé de pommiers ou de la pommeraie.
  • Fontgamade : Deux possibilités :
    • de l’occitan font, fontaine, et de gamat signifiant taré, gâté ; gamadura, un état d’affaiblissement, d’amaigrissement : Fontaine d’eau impropre à la consommation.
    • Le fontgamade est un fond étroit.
  • Plouzou (Plosou) : de plo petit plateau.
  • La Plagnole : l’endroit plat, la petite plaine.
  • Le Bruguet (Lo Bruguet) : la petite bruyère.
  • Le champ du voisin : un toponyme cocasse mais assez fréquent dans le secteur.
  • La Frégère (La Frégère) : de freg, froid, donc un endroit froid. Les près longeant le rec de l’hôpital étaient souvent brumeux ou couverts de gelée blanche.
  • Le Moulin Gau (Lo Molin de Gau) : le moulin de Monsieur Gau.
  • La Condomine (La Condomina) : du latin Condomina , une terre d’un seul tenant faisant partie de la réserve seigneuriale.
  • La Trémoulède (La Trémoleda) : de tremol, le peuplier tremble, lieu planté de peupliers.
  • L’Ourmet : un endroit planté d’ormes.
  • Lourtal (L’Ortal) : de ort, jardin, l’ortal, grand jardin.
  • Palazy (Palasiu) : du nom d’un habitant.
  • Ladrets (L’adrech) : le versant ensoleillé, ou le côté droit d’une colline, d’un ruisseau…
  • La Nautane (La Nautane), de nautor, lieu élevé.
  • La Brune (La Bruna) : chez Madame Bru.
  • Le Faget Lo Fau, le hêtre, (Lo Faget) : le bois de hêtres.
  • Las Crozes : Les Creux.
  • Allée des Saurines : du latin auréus, l’or. Saur, au teint clair, saurejar, donner une teinte dorée, saureta, immortelles jaunes. Un endroit autrefois planté de fleurs jaunes ?
  • Le Tonnerre : un des rares toponymes français de la commune.
  • Trez vents : situé sur une hauteur donc un lieu plus éventé.
  • Chemin de la Ganibelle (Camin de Ganivela) : la ganiva est un grand couteau, lo ganivet, le canif. Ou la déformation de ganitèl, le gosier ?
  • Chemin de Lascouts (Camin de Las Cots) : une cot est une pierre à aiguiser, le chemin menait-il à un lieu où l’on extrayait ces pierres ?

► Augmontel évoque la situation élevée du village : c’est « alto-montello », le haut petit mont en bas-latin qui donne le toponyme occitan lo Montel, le petit Mont.

Autour du « Montel » , se rencontrent les appellations suivantes :

  • Perboles (Per Bolas) : les bolas sont en occitan les limites, les bornes de propriété.
  • Las Viousses (Las Viosses) : dérivé de viare, voyager en latin ? Ce nom aurait le sens de station, halte.
  • Las Gravoulariès (Las Cravolaries) : un nom issu du patronyme Cabrol ou Cabrolier devenu Cravoul ou Cravoulier.
  • En Viel (En Vièlh) : Monsieur Vieux. « En » devant un nom de famille est une particule honorifique. On le retrouve souvent en Lauragais (En Tolsa, En Sira…) et témoigne de l’importance sociale de son bénéficiaire. L’équivalent féminin est « Na » plus rare.
  • La Mengavarié (La Mengavarié) : construit sur le patronyme Mengaud plus le suffixe arié.
  • Evesses (Evessés) : l’ubac, le versant nord.
  • La Fénial (la Fenhal) : le fenil.
  • Le Verdanel (Lo Verdanel) : un endroit où l’on trouve des rainettes verdanèl en occitan) ou des champignons russules. Peut-être les deux !
  • Le Buc (Lo Buc) : au dessus du Verdanel, c’est la cime de la montagne. Dans certaines régions occitanes, lo buc désigne aussi la ruche.
  • La Bouroune (La Borona) : la borona est un carré de grosse toile servant au transport de fourrage. Peut-être faut-il voir ici la référence à un lieu où le foin (lo fen) était abondant.
  • Le Mazet (Lo Maset) : le petit mas.
  • La Pencharié (La Penjarié) : de l’occitan « penjal », pente, donc un lieu pentu.
  • La Fongui (La Font Gui) : la fontaine de gui.
  • Le Geli (Lo Geli) : de gel, gelée, donc lieu froid ou de Gilles le prénom ?
  • La Serre (La Serra) : une croupe, une colline allongée.
  • Mascarenc (Mascarenc) : mascarar signifie barbouiller de noir. Mascarenc, situé dans une combe est rapidement à l’ombre. Ou bien s’agit-il de Mas Clarenc, le mas de la clairière (claranda en occitan) ?
  • Las Crozes (Las Crosas) : les creux.
  • Combarels (Combarels) : petites combes.
  • La Barthe (La Barta) : le buisson.
  • Les Tailhades (Las Talhadas) : les taillis, ou les coupes de bois.
  • Lissertel (L’Eissartèl) : terre défrichée.

Enfin, deux appellations poétiques pour magnifier deux sites d’Augmontel :

  • Cantegrel (Cantagrelh) : chante-grillon !
  • Mirassou (Mirasolh) : celui qui voit le sommet !

► La Pouzencarié au nord, dans la partie extrême de la commune, tire certainement son appellation du nom de famille Pouzenc (Pozenc) : celui qui habite sur un sommet, auquel a été ajouté le suffixe arié.

Autour de la Pouzencarié, on relève les toponymes suivants :

  • Camp del Sagé (Camp del Sage) : c’est le champ du sage.
  • Puech estel (Puèg estel) : la colline de l’étoile.
  • Combe Fournial (Comba Fornial) : le vallon du fournil.
  • Castel Sarrazi (Castel Sarrasin) : le château sarrasin.
  • La Roque (La Roca) : la pierre.

Felip Cals


Notes :

[1A Saint-Alby, le Moulin Neuf, à blé à trois meules, et le Moulin Bas, foulon, appartenaient en 1694 à Noble David de Parrotat. L’un de ces moulins, le moulin Bas vraisemblablement, puisque l’autre est dit « Neuf » figure au nombre des biens nobles de l’abbaye d’Ardorel. Celle-ci l’avait acquis en 1509 d’Antoine et Jacques Bonhomme, seigneurs d’Aiguefonde. en 1554, ce moulin payait au roi deux sous de censive annuelle pour la prise d’eau.

[2 Le Moulin Gau, du nom d’un de ses premiers propriétaires existe depuis « un temps immémorial ». Un extrait du compoix de Boissezon en 1593 précise que Jean Salvetat possédait un « mouly sur la rivière Thoret, dit d’en Gau, y ayant trois molles vollantes ». Il passe dans le patrimoine d’une famille noble qui le concède en bail à Etienne Azam et à son fils, déjà meuniers, le père à Labruguière, le fils à Caucalières. Ils prenaient le moulin avec ses trois meules, sa chaussée, le droit de bac, moyennant un versement de deux milles livres et une rente annuelle et perpétuelle de vingt setiers de seigle « beau et marchand, bien purgé, à porter au dit seigneur à son principal manoir au dit Payrin, le 15 mai de chaque année ». Il fallait aussi moudre gratuitement les grains pour le seigneur. Après plusieurs changements de propriétaires, le moulin est vendu en 1850 à un négociant de Mazamet qui y installe une filature. Acquéreur en 1875, Edouard Alba La Source l’agrandit, ajoute un atelier de tissage et d’apprêts. En 1900, l’usine compte dix ateliers sur deux hectares, c’est la plus importante usine textile du mazamétain avec plus de quatre cents ouvriers.

Extraits tirés du livre de Rémy Cazals, les révolutions industrielles à Mazamet 1750-1900. Maspéro 1983

[3] Dictionnaire des communes du Tarn du Conseil général

[4Rigautou,

Ton nom semble émerger de ce petit ruisseau

Qui flâne toujours dans les bois de Rigaud

Avant que de descendre en bonds et cascades

Vers les pins parfumés qui ombragent En-Prades.

Et ce nom d’autrefois dans son parler très doux,

Oyez :  » Lou Riautou « 

S’est un jour francisé pour devenir chez nous

Le nom de Rigautou !

Augustin Tost. 1989

[5] Les bénédictins de Saint-Pons ont fondé la Salvetat-Sur-Agout. Une fondation bénédictine existait peut-être à l’Ardorel, comme à Labruguière, bien avant la création de l’abbaye par Cécile de Provence en 1124. Est-elle à l’origine de la Salvetat de Payrin ?